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HISTORIQUE

L’aventure du football à 11 dans le sport populaire est plus que centenaire. Dès le début du dix-neuvième siècle des footballeurs tapent le ballon rond dans les clubs sportifs ouvriers de la banlieue parisienne. Tout au long de cette histoire, riche et complexe, ils ont contribué à façonner une manière originale de penser et de jouer au foot. Ceci, en relation assumée avec le contexte (Front populaire), mais aussi en adaptant les règles (double arbitrage, carton blanc, etc.) pour que cela reste avant tout un jeu, le plus beau des jeux populaires. # Par Nicolas Kssis

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«Avec le football, particulièrement, le jeune homme apprend la nécessité de l’effort individuel mais au service d’une collectivité (...).» Cette phrase, tirée de l’Humanité du 29 mars 1910, est une des réponses faites par les tenants du tout jeune sport ouvrier aux sceptiques qualifiant déjà cette discipline de corrompue et de vulgaire. On le voit, le lien entre l’histoire du foot et le sport populaire est ancien et a rencontré des débuts problématiques.

Le sport ouvrier est la branche sportive du mouvement ouvrier en France. Il naît en 1907 dans les réseaux du Parti Socialiste unifié par Jean Jaurès et au cœur des structures d’éducation populaire telles les Universités populaires ou les Coopératives.

Abraham Henri Kleynoff, son principal inspirateur, est aussi le premier journaliste sportif de l’Humanité, alors le quotidien de Jean Jaurès. Ce militant était convaincu que le sport - souvent réservé aux milieux bourgeois au début du vingtième siècle - pouvait devenir un formidable instrument d’émancipation pour les travailleurs.

Parmi les pratiques proposées, du vélo, de la boxe, de l’athlétisme et surtout du football : «ce sport de caractère socialiste dans lequel les équipiers coordonnent tous les efforts et leur volonté en vue d’une action collective et d’un résultat d’ensemble», écrira Kleynoff, également pratiquant émérite du ballon rond (l’Humanité, 17 avril 1911).

 

Le petit foot ouvrier et la grande histoire du ballon rond

 

Le premier championnat de football de la fédération sportive ouvrière, la Fédération sportive athlétique socialiste (FSAS), remonte à 1909. Il rassemblait alors 11 équipes et 6 clubs, tous en région parisienne. En 1913, ce sera désormais 30 équipes, issues de 20 clubs, qui se confronteront et qui se déplaceront parfois jusque dans le Nord. Il ne s’agit pas d’un mince exploit, les footballeurs ouvriers ne disposant alors guère d’autre soutien que celui des rares municipalités socialistes qui les laissent utiliser un terrain pour leur match. Pourtant, dès cette époque, le petit foot ouvrier contribue à la grande histoire du ballon rond. Le jeune Pierre Chayriguès, futur gardien légendaire du Red Star (Saint-Ouen) et de l’équipe de France, débutera, en effet, au sein du CAS (Club athlétique socialiste) de Courbevoie.

Un peu plus tard, un certain Gusztáv Sebes, célèbre pour avoir été l’entraîneur de l’équipe de Hongrie de 1949 à 1956 (le fameux «Onze d’or»), alors jeune immigré en France (économique et politique en même temps : il avait perdu son travail après avoir participé à une grève à Budapest), sera sélectionné dans l'équipe française de la FST lors des rencontres «internationales» (1). Il jouera, par ailleurs, en 1925, chez les «Sauvages Nomade» (Paris) dans le championnat FST (Fédération sportive du travail, héritière de la FSAS).

En ces temps pionniers, les «footeux» de la FSAS se référaient encore exclusivement aux règles de l’International Board (2). Si le foot ouvrier se démarque, il le doit avant tout à son inscription dans un environnement sociopolitique auquel il apporte sa popularité et dont il reçoit sa distinction.

Ainsi, les noms des compétitions donnent immédiatement une saveur singulière aux matchs. La Coupe de France de la Fédération sportive du travail (FST), qui succédera à la FSAS, après la Première guerre mondiale, prendra le patronyme «Jean Jaurès». Ceci, afin de «commémorer la mémoire de notre grand disparu» (l’Humanité, 27 septembre 1921). Certes, le football ouvrier participe, à sa petite échelle, à la grande culture nationale du foot qui se façonne petit à petit. Toutefois, son projet initial, son ancrage dans le mouvement sportif ouvrier, le pousse aussi à trouver sa propre voix, et son sens du jeu.

Ainsi, apparaissent progressivement les premières tentatives de s’affranchir un peu de l’ombre de la fédération officielle : la Fédération française de football association (FFFA), née en 1919, et de sa conception hiératique du jeu.

Par exemple, dans le registre de l’arbitrage : «L’arbitre non officiel le devient dès l’instant qu’il a été accepté par les deux équipe», ou, afin de faciliter la participation de tous au jeu : «un joueur exclu de la partie peut reprendre le jeu par décision de l’arbitre.» (3)

C'est évidemment sur les terrains de l'international...isme que le foot ouvrier, tendance rouge, va également se positionner.

Dès 1914, la commission de football association au sein de la FSSG (Fédération socialiste des sports et gymnastique, prédécesseur de la FST), tenta de multiplier les rencontres internationales avec des équipes appartenant aux structures ouvrières des pays frontaliers, dont celle des Jeunes gardes socialistes de Bruxelles. Voire, tenta d’en faire un terrain de combat politique. Le 29 décembre 1929, une rencontre officielle franco-italienne programmée entre l’AS Roma et un club français, sera perturbée par des sportifs de la FST et des militants communistes français et italiens qui scandèrent des mots d’ordre antifascistes (Mussolini est à la tête du pays depuis 1922). L’Humanité relaiera ce fait le 30 décembre : «À Buffalo, magnifique démonstration contre le fascisme et la répression. Les sportifs (…) obligent les organisateurs à interrompre le match.»

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Équipe 1 de l’Entente sportive travailliste d’Ivry vers 1932, sur un des terrains acquis par la toute jeune municipalité communiste, qu'elle baptisera du nom de « Lénine ».

Photo © US Ivry

​Unis par le ballon...

 

Le football se révélera ensuite un puissant vecteur de l’unité entre les socialistes et les communistes. Surtout lorsque s’enclenchera, en décembre 1934, le processus unitaire à l’origine de la FSGT – de la fusion de la FST et de sa sœur jusqu'ici ennemi de classe, l'USSGT (Union des sociétés sportives et gymniques du travail, socialiste) – en prélude du Front populaire (qui aboutira à la victoire de la gauche aux élections de 1936 et aux grandes grèves débouchant notamment sur la conquête des premiers congés payés), dont elle sera en grande partie le versant sportif.

Le 1er novembre 1934, Raymond Guyot, responsable des Jeunesses communistes, explique devant le Comité central du PCF, preuve de la rapidité du processus, «que l’on peut voir que demain dimanche se dérouleront dans la région parisienne 60 matchs communs entre l’USSGT et la FST».

D’ailleurs, le succès populaire et international – et en matière de participation – de la Coupe du monde du foot ouvrier d’août 1934, durant le Rassemblement sportif international antifasciste organisé par la FST, s’inscrit dans la même vague (4). Signalons que cet «internationalisme» à crampons perdurera. Ceci, notamment lors de la réception, en 1982, avec pour la première fois l’exemple d’une équipe palestinienne en France.

La période du Front populaire marque surtout pour le football travailliste un saut quantitatif impressionnant au niveau national, de Marseille à Brest, de Lille à Toulouse.

La Coupe nationale instaurée en 1935, rassembla, en 1939, 168 clubs issus de 25 comités départementaux ou régionaux. La même année, la région parisienne compte à elle seule 750 équipes (environ 10 000 joueurs) dont parmi elles : 300 en catégorie seniors, sans compter les 190 du samedi et les 27 du lundi , 37 en catégorie pupilles, 54 en catégorie juniors, et 34 scolaires du jeudi.

Cette envolée s’appuie, en grande partie, sur l’explosion de la branche corporative (sport d’entreprise) apparue dans la foulée des occupations d’usines de juin 1936.

Malheureusement, à l’enthousiasme du Front Populaire succède les heures noires de l’Occupation. Le régime de Vichy déteste ce sport de «métèque» et d’ouvriers, qui plus est, passé au professionnalisme

À tel point que même la prudente FFFA, notamment sa ligue parisienne, se heurtera au dit régime et à son commissariat général au Sport, qui suspend à tour de bras ses dirigeants trop indociles. «Sport libre», réseau de résistance animé par d’anciens dirigeants communistes de la FSGT, entrés dans la clandestinité, dont son secrétaire général Auguste Delaune, prend le parti des «amis» footballeurs et les incite à tenir bon.

Stage national de pratique féminine organisé à Annecy,

du 11 au 15 mai 1972, sous l'impulsion du comité de Paris, de celui de Haute-Savoie, de la commission football et du Conseil pédagogique et scientifique-FSGT.

Photo : collection FSGT

Affirmer son identité au sein du football national

 

À la Libération, le foot travailliste retrouve ses droits et ses devoirs. La Coupe nationale FSGT prend son actuel titre de «Coupe Auguste Delaune» - mort en résistant, sous la torture de la Gestapo fin 1943 - suivant la recommandation de la direction nationale qui, dans une circulaire du 3 octobre 1944, rappelle qu’«il faut que le nom des sportifs morts pour la France soit perpétué». Pour rappel, l’enceinte du «Stade de Reims», notamment lorsqu’il effectuera ses grands parcours européens fin des années 1950, sera également baptisé de ce prestigieux patronyme.

Le foot FSGT frappe alors des deux pieds : la Delaune pour les clubs locaux et la Coupe de la Vie Ouvrière (le journal de la CGT), à partir de 1947, pour les «corpos» où se «mêle un sentiment d’affection envers la FSGT et le journal syndical qui défend les luttes des travailleurs parmi lesquelles les revendications du sport ne sont jamais absentes» (Sport et plein air, 15 octobre 1956).

Dans les années 1960-1970, le foot FSGT continue sur son élan. Alors que la Fédération subit l’ostracisme des pouvoirs publics et du reste du mouvement sportif, le ballon rond, lui tient souvent la tête hors de l’eau. En 1979, l’Assemblée nationale de l’activité (ANA) de Brest, en partie focalisée sur les relations avec la FFF, se félicitant enfin de la signature d’une convention, se pose néanmoins de nouvelles questions. Les responsables du foot FSGT, réunis à cette occasion, se demandent comment celui-ci peut «affirmer son identité et sa place au sein du football national et apporter ainsi sa contribution au progrès du football dans l’intérêt des travailleurs» (Sport et plein air, avril 1979).

À la fin des années 1980, la situation du foot à 11 commence, en effet, à se fragiliser.

Le foot à 7 autoarbitré FSGT - que d'aucuns font une des petites sœurs des grèves de Mai 1968 - ne cesse de progresser et la FFF connait une forte croissance de ses effectifs.

Le foot à 11 traditionnel est, lui, en perte de vitesse à la FSGT. Ceci, en lien avec la disparition des «réserves» (enfants, jeunes) et toujours aucune percée chez les féminines, malgré le volontarisme de certains clubs et comités (notamment avec le stage national de pratique féminine organisé à Annecy, du 11 au 15 mai 1972, sous l’impulsion des comités de Paris, de Haute-Savoie, de la Commission football et du Conseil pédagogique et scientifique-FSGT).

Après l’ANA de Toulouse, en 1995, plusieurs nouveautés sont donc introduites à titre expérimental lors du «Tournoi des sélections» (départementales), avant d’être progressivement généralisées (sur plusieurs saisons) dans la Delaune (la Coupe de la Vie ouvrière s’interrompt en 1981) : double arbitrage, exclusion temporaire sous la forme d’un carton blanc, touche au pied… En 2001, dans un document résumant ces nouvelles règles, Alain Buono, dirigeant national du foot et conseiller en formation, détaille le but de ces évolutions culturelles : «Aujourd’hui, nos innovations sont surtout guidées par le souci de se préserver de la violence de la société, de dédramatiser les enjeux liés au

match, de redonner au match sa valeur de rencontre, de rendre solidaires les dirigeants, les arbitres, les entraîneurs, les joueurs, les spectateurs et les capitaines. La rencontre “appartient” à tout le monde et si elle peut conduire à la victoire de l’une ou de l’autre équipe, elle doit surtout donner du plaisir» (Carnet de board FSGT. Football à 11, nos règles, notre arbitrage , 2001).

​Néanmoins, comme souvent dans la FSGT, les réformes ont de fait été parfois anticipées à la base. Une enquête de 1997 nous apprend que 8 % des comités pratiquent ou acceptent la touche au pied, que les trois quarts autorisent 5 remplacements (3 seulement en FFF) et la moitié le remplacement tournant. Notons surtout que le double arbitrage, qui était en discussion depuis des années (5), est expérimenté dès la saison 1985-1986 dans le championnat régional Rhône-Alpes. Ces mesures permettent au foot à 11 de remonter à 17 000 licenciés dans les années 2000. Certaines de ces adaptations sont aujourd’hui très sérieusement discutées à la FIFA (Fédération internationale de football association), tel justement le carton blanc synonyme de sortie provisoire.

Le foot à 11 FSGT possède une profonde singularité : tout en ayant aussi participé à la grande culture mondiale de ce sport, anticipant parfois certaines évolutions. Il continue sans cesse de reformuler son identité afin de permettre à cette forme particulière du jeu, et son inestimable patrimoine culturel, de continuer d’enrichir le sport populaire.

Championnat international de football du CSIT (Conseil Sportif International du Travail) accueilli à Paris du 5-12 juin 1988. Une de Sport et plein air, mars 1988

Illustration : François Miehe pour la FSGT

(1) Les sélections fédérales du sport ouvrier, puis de la FSGT, furent et sont toujours ouvertes, sans discrimination, à l’ensemble des licenciés quelle que soit leur nationalité.

(2) L’International Football Association Board (IFAB), ou Conseil international du football association, créé en 1904, est l’instance qui détermine et fait évoluer les règles du jeu du football.

(3) In Football Association. Règlements officiels, Courbevoie, FST [IRS], 1927, 24 p.

(4) Au même moment se tient la seconde Coupe du monde «officielle» en Italie où, comme le reconnu Jules Rimet (initiateur de ladite Coupe), Mussolini occupa, de facto, mais sans le titre, la fonction de président de la Fifa (Fédération internationale de football association) le temps de son organisation. Il montrait ainsi, deux ans avant Berlin, comment le totalitarisme pouvait instrumentaliser ces grands événements.

(5) «Pour ou contre un arbitre adjoint en football ? Proposition de la Commission fédérale de football concernant le règlement», Sport et plein air, 15 décembre 1958.

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